20/12/17
20/12/17
I) La recherche
Les archives municipales d’Auriol détiennent une feuille manuscrite bien étrange signée « Jehan GAY 1603 »
En voici l’introduction :
Discours veritable d’un ange lequel apareut ay roy
dengletere en la presanse de toute la cour dau roy
Avec une requeste et cuplication des quatholiques en
glois presentes au tres puisant roy dengletere leur souveren
prince pour la tholeranse de la religion quatholique en son
roiaume
Si ce début est compréhensible:
« Discours véritable d’un ange lequel apparut au roi
d’Angleterre en présence de toute la cour du roi.
Avec une requête et supplication des catholiques an-
glais, présentée au très puissant roi d’Angleterre leur souverain
prince pour la tolérance de la religion catholique en son
royaume.”
La suite de cette introduction est plus obscure :
« A paris par Estiene COLIN im prime de murant au
mon sans hitere 1603 suivant la copie en primee a Londres en
un gage an glois »
Peut-être devrais-je chercher sur internet un Estienne COLIN à Paris ?
La recherche est quasi impossible. Il doit y avoir autre mot-clé.
Et si c’était « Estienne COLIN imprimeur ? »
La chance me sourit sur Gallica avec cet extrait de l’histoire de l’imprimerie écrite en 1689.
Estienne COLIN y est cité, rue d’Ecosse au Mont Saint Hilaire !
J’ai tous les mots-clés pour continuer la recherche, et arriver, ravie, sur ce livre répertorié dans la bibliothèque de Lyon:
La 2ème partie de l’introduction de notre manuscrit est désormais claire:
“ A Paris, par Estienne COLIN, imprimeur demeurant au
Mont Saint Hilaire 1603, suivant la copie imprimée à Londres en
langage anglais”
A l’intérieur, et en vieux français de 1603, la même histoire. Seule manque l’introduction du manuscrit.
II) L’histoire
Nous avons déjà compris qu’un ange est envoyé auprès du roi d’Angleterre pour l’exhorter à plus de tolérance envers les catholiques.
Un petit rappel historique est nécessaire.
En 1603, Jacques VI Stuart, roi d’Ecosse devient roi d’Angleterre et d’Irlande sous le nom de Jacques 1er.
Protestant convaincu, (calviniste converti à l’anglicanisme) il essaie cependant de mettre fin à la guerre contre l’Espagne farouchement catholique. Un traité de paix sera signé en 1604, l’année qui suit notre manuscrit.
Mais sous la pression des Puritains, Jacques 1er reviendra sur le traité de paix.
En France, Henri IV a signé l’Edit de Nantes en 1598, par lequel le catholicisme est reconnu religion officielle. Les protestants obtiennent des garanties d’ordre religieux, politique, juridique et militaire.
L’Edit de Nantes sera révoqué en 1685. La tolérance religieuse est loin d’être acquise.
A gauche, l’Edit de Nantes. A droite, sur le tableau, Henri IV s’appuie sur la Religion et offre un rameau de paix à la France sous le regard d’angelots bienveillants.
Il n’est donc pas étonnant de découvrir cette étrange histoire d’apparition datée de 1603. Nous sommes en pleine période de pourparlers pour la tolérance religieuse. Les anges ont fort à faire... Ça et là fleurissent des histoires baroques où ces créatures célestes donnent des conseils aux dirigeants. Le peuple souffre énormément de ces guerres et trouve secours dans son créateur et ses messagers ailés.
Cette feuille manuscrite a donc livré ses secrets. Ce qui est curieux, c’est qu’elle n’est pas une copie exacte. Les mots sont coupés, les fautes de copie très nombreuses. On peut supposer que Jehan GAY ne savait pas bien écrire ou qu’il y voyait mal...
Mais au fait, que raconte cette histoire?
En voici la teneur dans l’orthographe actuelle, la forme étant d’origine.
« Croyez, Messieurs, que le jour de Saint Jean Baptiste dernier 1603, environ une heure après minuit, il s’est apparu à lui (au Roi) une grande flamme de feu, lequel feu l’étonna, et le Roi se voulu lever, ce qui ne fut en sa puissance : incontinent d’icelle flamme sortit une voix douce, laquelle lui dit en mêmes paroles :
« N’aies pas peur, Roi : Je suis un Ange envoyé de Dieu. Toi qui as commandement sur le peuple de ton royaume, je t’avertis, que tu les fasses amender, autrement tu verras toi et ton royaume abimés dans peu de temps, tout ainsi que fut abimée Sodome et Gomorrhe : Car Dieu est courroucé contre toi et ton peuple. »
Alors l’Ange se partit, et le Roi demeura l’espace d’une heure sans aucunement parler. Et alors qu’il fut remis, il hurla afin d’éveiller ses gardes qu’il ne les pouvait éveiller : A la fin coururent de vers sa Majesté, non sans leur faire grande réprimande, disant :
« Vous dormez bien ! N’avez-vous pas vu céans le grand miracle qui m’est apparu ? »
Les gardes lui dirent :
« Certes, Sire, nous avons vu une grande clarté, mais nous étions si fort étonnés que nous ne pouvions dire mot l’un à l’autre ! »
Le roi pensif commanda à l’un d’iceux :
« Va à mon chancelier lui dire qu’il vienne tôt, et incontinent après, deux de mes conseillers, afin que je prenne conseil et avis, de la vision qui m’est apparue. »
Incontinent, les Conseillers portant obéissance à sa Majesté l’allèrent trouver dans son palais, se promenant avec sa robe de nuit, lesquels bien humblement salua, les prenant par leurs mains, étant saisi de joie et de crainte en leur disant ces paroles :
« Messieurs, je vous ai demandés, afin de vous déclarer ce qui m’a été dit et révélé ce jourd’hui par un Ange du ciel, lequel est entré dans ma chambre avec une grande clarté de feu, lequel a parlé à moi »
Et ledit Roi leur récita le tout comme dessus de ladite appréhension .
Après avoir récité le tout, leur demanda avis et conseil de ce qu’il devait faire. Alors lesdits conseillers et secrétaires furent fort émerveillés, et tous se regardèrent l’un l’autre, tellement que le Roi dit :
« Messieurs, quel conseil me donnez-vous ? »
Les conseillers répondirent :
« Sire, nous ne savons quel bon conseil vous donner, d’autant que ce miracle n’est jamais arrivé à telle personne comme vous. De vous donner conseil, vous le savez mieux que nous. Toutefois, si vous déclarez ces paroles à vos sujets de votre royaume, la plus grande part ne le croiront pas et diront que vous les voulez brider en quelque grande suggestion et leur faire changer de loi. Par quoi, Sire, si vous trouvez bon notre conseil, il nous semble que le meilleur conseil et avis, ce serait d’en avertir les plus principaux du royaume, auxquels vous leur ferez entendre, comme vous l’avez proposé et sur leur avis prendrez meilleur conseil. »
Alors le Roi délibèra leur faire un banquet le dimanche suivant, ce qui fut fait.
Or, étant à table, commence à discourir et réciter leur dite vision qui lui avait apparu la nuit de Saint Jean dernier. Incontinent, toute l’assistance, après avoir ouï le discours que le Roi leur récita, se mirent à genoux à terre, priant Dieu, comme aussi fit ledit Roi.
Après avoir fait la prière, le lendemain firent fermer les boutiques et cesser tous travaux de Londres, comme s’il fut un dimanche et l’on se mit à prières et oraisons pour le miracle qui fut apparu audit Roi et que l’on eut à faire assistance par la compagnie de la cour, ce qui fut fait.
Cette première feuille manuscrite trouvée à la mairie s’arrête ici.
En voici la suite, issue du livre édité en 1603
Le lendemain, ledit Roi fit assemblée, laquelle marcha en bonne ordonnance par toutes les rues parées et se trouva une châsse de quelques relique, laquelle était d’airain, au-devant une vitre, par laquelle on y voyait un portrait d’un homme , laquelle fut prise fort honorablement et fut apportée en une église et abbaye le plus docte de la ville, monta en chaire pour rendre grâce à Dieu, là où sadite Majesté et tout le peuple assistèrent.
Et après, ladite châsse fut mise sur un beau pilier en ladite église pour servir de mémoire, et après firent la prière qui s’ensuit :
Seigneur Dieu tout-puissant, Roi des cieux
et de la terre, tu nous a créés à ton image
et ressemblance, ce n’est sinon pour louer
et suivre tes saints commandements,
lesquels tu as donnés et révélés par les apôtres,
que ta volonté soit faite.:
Mais te prions de retirer ta fureur de nos démérites,
et le plonge dedans une mer de miséricorde, afin que nous puissions
nouvellement te rendre louange après ta douce miséricorde.
Au nom du Père, du Fils et du St Esprit.
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